La légende du Perroquet sans nom

Episode 1 : 8 mai 1945

C'est paradoxal : aujourd'hui c'est la fin de la guerre et je ne me sens pas en paix du tout. Tout le monde chante, tout le monde crie de joie dans la rue et je me retrouve sur mon perchoir. Je ne peux plus bouger, mes ailes sont lourdes. Je ne peux que regarder mon maître en train de peindre, c'est déjà ça.

Enfin, je me suis dit que ce jour historique était propice au début de l'élaboration d'un journal. On parle énormément d'une jeune fille, Anne Frank, décédée le 12 mars de cette année, qui elle aussi a écrit un journal que son père veut publier. Oui, pourquoi pas ? Je ne sais pas si cela apportera beaucoup au monde, mais je pense que ça apportera déjà beaucoup à sa famille. Moi, je n'ai plus de famille, mais je me dis que ça m'apportera déjà quelque chose à moi.

Bien sûr, dans mon cas, mon journal sera écrit dans ma tête, ma pauvre petite tête qui depuis un petit temps ne me fait plus mal, dans laquelle je pourrai relire mes souvenirs. Je suis dans l'impossibilité d'écrire. Car même si un gris est intelligent, il n'a pas la possibilité d'utiliser un stylo et du papier. Puis, comme je l'ai déjà mentionné, mes ailes me semblent si figées et lourdes que je ne peux plus bouger. Mais que s'est-il passé ? Moi qui chantais, qui parlais à longueur de journée, moi qui faisais rire mon maître ?

La suite est-elle déjà prête ???
Si oui, mets-nous la vite !!!

Oui, Gene. La suite est prête. J'ai déjà pu lire l'histoire entière moi.
Hi,hi... Patience, patience.

Mais pourquoi David est-il ainsi privilégié ???
C'est pas du jeu ça, en plus, il s'en vante, non mais !!!

En punition, tu vas devoir rajouter des épisodes à l'histoire de Roméo !

Que d'impatience Gene, voyons....

Episode 2 : 1er juin 1945

J'ai dû réfléchir à ce que j'allais raconter dans mon journal intime. Mes souvenirs se mélangent. J'en ai tellement à relater !!!

Commençons par mon maître, un baron, paraît-il. Il est né à Oostende, grande ville côtière belge. Il est connu dans le monde entier pour ses peintures. Très rare pour un peintre d'être ainsi connu de par le monde de son vivant, vous ne trouvez pas ?

Il est très gentil et très calme. Bon, j'avoue que je me demande parfois quel est le but de ses peintures, mais j'essaye de ne pas me poser trop de questions. Difficile de cerner ce qui se passe réellement dans la tête d'un peintre vous savez. J'aime beaucoup par contre ses peintures qui montrent la vie des humains au bord de mer. C'est si divertissant et rigolo !!! Si seulement, je pouvais le lui dire. J'ai la voix qui se bloque dans le fond de ma gorge à chaque fois que je veux dire un mot. Ah, je me sens si vidé ! Heureusement que malgré mon handicap, mon maître ne m'a pas laissé tombé. Je l'aime tant, mon compagnon de toujours !

Episode 3 : 16 juillet 1945

Mon maître me parle très souvent. Ca me fait plaisir. Il s'appelle James. Et James ne me laisse pas tomber.

Pourquoi je dis ça ? Depuis que je ne peux plus bouger, depuis que je ne peux plus parler, j'ai peur de me retrouver parmi ces oiseaux qu'on laisse tomber car ils ne sont plus intéressants. Mon maître, lui, n'a pas l'air de trouver tout cela gênant. Et ça me fait plaisir, et j'aimerais pouvoir le lui dire, mais je suis dans l'incapacité de le faire. Alors, je le regarde. J'essaie de lui faire les yeux doux et je le fixe. Et il me comprend. Car il y a toujours eu cette complicité entre nous deux. Je me suis fait vieux avec le temps, et mes capacités ne sont plus les mêmes évidemment. Je viens d'Afrique, j'ai connu un voyage long et douloureux par bateau. Heureusement, je suis tombé sur mon maître actuel du premier coup et je prie tous les dieux des perroquets qu'il me garde encore longtemps.

Au début de mon handicap, j'étais fort nerveux, je me posais des tas de questions et j'étais fort anxieux de me voir me priver de l'affection de mon maître. Mais peu à peu maintenant, je suis rassuré et je reste bien sagement sur mon perchoir. Ca a l'air de lui suffire. Je suis content.

Episode 4 : 19 novembre 1949

4 ans et demi sans écrire mentalement dans mon journal. Je ne savais pas quoi raconter. J'avais tellement de souvenirs. Je me laissais vivre aux côtés de James, tout simplement.

Mais aujourd'hui, James est mort et je suis triste. Je ne le verrai plus jamais peindre et je suis malheureux.

Oh, il a bien vécu, oui, il avait 89 ans. Mais quand même, vous savez ce que c'est la relation si profonde entre un perroquet et son humain…

Ce qui me manquera le plus, ce sont ses questions "alors, comment trouves-tu ce tableau ? Et celui-ci ?". Je ne pouvais plus répondre par mes "Ooooh " admiratifs. Mais il comprenait en me regardant dans les yeux ce que je pensais. A chaque fois, il me disait "Je savais que tu aimerais !". Et c'est vrai : j'aimais !

James s'est bien amusé à peindre toutes ces folles toiles. Il riait parfois aux éclats de l'admiration des gens devant ce qu'il peignait, car ça le faisait sourire, lui…

Mes larmes ne coulent pas, elles ne peuvent plus couler : elles sont trop nombreuses. Je l'aimais trop…

Qu'est-il advenu de toi après la disparition de ton bon maître ?

Ah, ah, je le sais moi !!!!

Episode 5 : 1er janvier 1950

On m'a laissé dans la maison qui appartenait à James. Parfois je vois des gens qui me rendent visite. Ils me regardent de façon étrange et me parlent. Certains me font même balancer sur mon perchoir ! Ce n'est pas tous les jours qu'on voit un gris du Gabon par ici !

Dommage que je ne puisse me rendre sur la tombe de James, pas loin d'ici, à Mariakerke. On m'a dit qu'il reposait à côté de l'église. Ce doit être joli là-bas, près de la mer.

La maison de James se trouve dans la Vlanderenstraat, au n° 27 à Oostende. James l'avait héritée de son oncle Leopold qui y tenait une boutique de souvenirs et de coquillages. James l'aimait beaucoup, cette maison. Son souhait était de la garder intacte jusqu'à la fin des temps. Il faut dire qu'il y a vécu les 32 dernières années de sa vie. Jusqu'à présent, elle est effectivement gardée intacte. Mais Dieu sait ce qu'elle deviendra lorsque l'héritage sera définitivement réglé…

Episode 6 : 15 mai 1980

Je ne peux toujours pas bouger, je me fais de plus en plus vieux et ma situation n'évoluera plus. Mon maître me manque toujours plus, mais je vois du monde tout le temps, je ne dois pas me plaindre.

Beaucoup de gens me regardent en souriant et me parlent. Et même s'il m'est impossible de répondre, mon cœur se remplit de joie.

Ce qui me fait extrêmement plaisir, c'est qu'ils ont gardé la maison de James intacte. Et ils m'ont gardé aussi. Ils en ont fait un musée sur mon maître et j'ai l'air d'être une pièce de collection. Ce n'est pas grave : après 30 ans, ça m'amuse encore !

Mes souvenirs se bousculent toujours dans la tête et il m'est difficile d'en faire le tri. Si le dieu des perroquets me prête vie, je tâcherai d'en faire un journal clair et précis dans quelque temps. Je me fatigue si vite ces derniers temps, même si je ne bouge guère.

Episode 7 : 3 avril 1990

Ils ont placé des gardes à chaque étage de la maison : ils ont peur du vandalisme. Je les comprends : nous vivons des temps de plus en plus durs de ce point de vue-là.

Ca fait que je vois Marijke tous les jours pendant les heures d'ouverture du musée. Elle ne me parle jamais. Pourtant, j'ai déjà vu son regard posé sur moi, mais ses yeux me fuient. On dirait qu'elle me craint. Peut-être qu'elle ne sait pas ce qu'est un gris du Gabon ? Je me dis qu'heureusement que je parle plus : je l'effraierais davantage.

Par contre, depuis qu'elle veille sur les affaires personnelles de mon maître, plus personne n'ose m'adresser la parole. Les gens me regardent bizarrement, puis leurs yeux tombent très vite sur les reproductions des tableaux de James qui sont accrochées aux murs.

Je n'ai plus beaucoup de raison de vivre, et pourtant, je tiens toujours le coup…

Episode 8 : 15 juillet 1992

Beaucoup de monde aujourd'hui au musée. C'est normal : ce sont les vacances et beaucoup de touristes viennent visiter l'ancienne demeure du Baron James Ensor, peintre célèbre.

Une famille est venue visiter les lieux vers 15 heures. Les parents et les enfants m'ont toisé et regardé sous toutes les coutures.

Le père pose une question à Marijke "il était réellement à James Ensor, ce perroquet empaillé qu'on voit là ?" "Je pense bien", répond Marijke.

Je suis effondré…

Pauvre bébé... La suite s'il te plait !!!

Ben, y a pas de suite..... C'était la chute, voyons.....
Tout le mystère de sa "paralysie" et de sa longévité (faut compter les années), c'est qu'il était empaillé.....

C'est pas vrai !
Il l'était vraiment ?
ô !

Et bien elle était vraiment bien cette histoire. Il faut dire que j'ai eu le privilège de lire l'histoire en une fois, bien au chaud sous ma couette. De plus, nous avons vu ce perroquet, il existe bien. Ca vous en bouche un coin, hein? Quand on visite les appartements de James Ensor il y a bien un perroquet empaillé, il est sur un perchoir dans le salon.

Merci pour ce complément d'information, David !

D'ailleurs, très pathétique comme vision. Nous avons demandé à "Marijke" (je ne sais pas si c'est réellement comme ça qu'elle s'appelle ) si c'était son perroquet, et elle a dit "je pense bien". Ce n'est pas très beau à voir, mais il a dû l'aimer son perroquet, pour le vouloir à ses côtés jusqu'à la fin de ses jours...

En tout cas, pour ceux qui passent à Oostende, c'est un musée à voir ! Pas pour le perroquet empaillée, mais pour le reste, pour l'oeuvre de James Ensor et puis pour les pièces reconstituées. Par ailleurs, le salon n'a pas bougé depuis la mort de James Ensor et on replonge quelques décennies en arrière....